Lettre d’un Fabuleux aux
Fabuleuses
Anna Latron 17 décembre 2020
« Ça a commencé par ma femme : c’est
grâce à elle que j’ai découvert les Fabuleuses ! »
Mais
surtout, Nicolas est homme au foyer.
« C’est parti d’une décision avec mon
épouse il y a quelques années; j’étais formateur indépendant. Je travaillais
beaucoup mais les revenus arrivaient de façon trop épisodique, avec trop de
décalage. Ma femme a trouvé du travail en Suisse, à deux heures de route de la
maison. Nous avons donc dû prendre une décision pour notre famille : je suis
resté au foyer. »
Il avoue que cette décision ne fut pas
forcément facile à vivre au départ. «Je
me suis pris des claques : toutes ces choses que je pensais qui prenaient 10
minutes prenaient en fait des heures. Avant, quand je travaillais à l’extérieur
du foyer, je rentrais le soir en me demandant ce qu’elle avait fait. Parfois,
je me disais : elle a passé toute la journée à boire des cafés avec ses copines
! Au départ, quand ma femme rentrait du boulot, je m’excusais de ne pas avoir
beaucoup avancé… et ça la faisait rire ! »
Voilà comment le couple a défini son
rôle au sein du foyer : c’est lui qui a la responsabilité.
« Avant, quand je préparais un repas,
j’ouvrais le frigo et je préparais ce que ma femme avait acheté. Aujourd’hui,
c’est moi qui organise, qui prévois les repas, qui fais les courses. »
Autre changement qui fut compliqué pour
le nouveau père au foyer : changer
d’activité toutes les 10 minutes. « Dans mon travail, je n’avais aucune
autre préoccupation que celle de dérouler mon plan. À la maison, il faut
changer d’activité tout le temps et comme je suis perfectionniste, ce fut
compliqué ! Il faut faire un travail dans sa tête pour accepter qu’il y aura toujours
un peu de foutoir quelque part. »
C’est le regard extérieur qui fut le
plus compliqué à gérer : «
Je me demandais ce que les autres pouvaient penser de mon foyer ! Je me
justifiais beaucoup, je n’étais pas encore assez au clair sur mon rôle. »
Aujourd’hui, il est un fervent
admirateur de tout le travail accompli dans le secret des foyers et qui reste
encore peu reconnu. «
Ce que vous développez dans les Fabuleuses, c’est tellement vrai ! Je pense
qu’il y a encore du travail pour reconnaître l’importance et le poids de ce
rôle au foyer. »
Il le reconnaît sans ambages : « L’épanouissement à la maison n’est pas
arrivé du jour au lendemain. Au début, j’ai fait beaucoup de bénévolat, pour
être “valable”. Et puis j’ai cheminé, échangé, lu les Fabuleuses aussi…
Maintenant, je suis à la maison et j’y suis à 100%, pas un pied à l’extérieur !
»
Pourtant,
il souligne qu’un homme qui ne travaille pas n’est pas bien vu.
« La première question que l’on pose à
un homme, c’est : “qu’est-ce
que tu fais dans la vie ?” La
première question que l’on pose à une femme, c’est : “tu as combien d’enfants
?” »
Les fruits de cette présence à 100% dans
son foyer ? Profiter d’une relation très proche avec ses enfants — « Ils peuvent me parler de leur journée
quand ils rentrent. C’est un vrai petit moment de bonheur partagé ! » — et avec sa femme. « Nous avons trouvé un équilibre. Sur
son trajet du retour, on s’appelle ; ainsi, quand elle arrive à la maison, on a
déjà échangé sur notre journée. Tout le monde n’a pas cette chance, c’est
évident. Je suis profondément reconnaissant de pouvoir vivre cela. Je crois
juste que nous avons trouvé ce qui est le meilleur pour le fonctionnement
général de notre famille. »
« Cette situation me rend de plus en
plus reconnaissant envers les femmes car je comprends mieux — je ne dis pas que
je comprends tout — mais je comprends mieux. Je n’étais pas assez reconnaissant
envers tout ce que faisait mon épouse. »
Il reconnaît que le renoncement à une
carrière professionnelle reste le plus compliqué et le plus long à accepter. « J’ai encore des projets, mais ils sont
simplement différés : on verra dans 5 ans quand ma dernière aura 18 ans. Être à
la maison, ce n’est pas tout abandonner, c’est ajourner. »
Il
y a quelques mois, Nicolas a écrit une lettre sur son blog.
« Écrire m’a permis d’acter ce qui était
devenu plus clair sur mon rôle, ma mission. »
Il nous a donné l’autorisation de la reproduire
intégralement :
Très chères Fabuleuses,
J’ai beaucoup de respect et de
considération pour vous toutes.
Le plus important dans la vie, c’est ce
que vous êtes et non ce que vous faites ou ne faites pas !
Il est vrai que la reconnaissance et la
valorisation sont souvent absentes du travail à domicile.
Voilà bientôt 6 ans que je suis papa au
foyer. C’est une décision que nous avons prise en couple.
Ma Fabuleuse a repris son travail, j’ai
quitté le mien. (…)
L’apprentissage n’a pas toujours été
facile. Après quelques jours, ma cadette m’a regardé dans les yeux pour me dire
: «
Papa, tu fais de la nourriture pour chats !!! ».
J’ai dû faire face à d’autres questions
:
·
« Tu as lavé mon pantalon ? »
·
« Où sont les papiers signés que je dois
ramener à l’école ? »
·
« Le repas n’est pas encore prêt ? »
·
…
Autant dire que je n’étais pas préparé à
l’aventure ! Jamais je n’avais imaginé que je devrais changer d’activité toutes
les 10 minutes.
Pour me donner du courage, je me faisais
couler un café mais, débordé par les tâches quotidiennes, quand je revenais à
la machine il était froid.
Il fallait tout gérer en même temps :
·
réfléchir aux menus
·
faire la liste des courses
·
passer au supermarché
·
passer l’aspirateur
·
programmer le lave-linge
·
remplir les documents pour l’école
·
couvrir les livres
·
rattraper le retard de repassage
·
accueillir les amis
·
prendre du temps pour aider les enfants
dans leurs devoirs
·
…
Bon, il faut dire qu’un homme à la
maison reçoit plus de soutien. On me plaint un peu ! Belle-maman nous invitait
pour manger plus souvent que quand sa fille était à la maison.
Les femmes sont plutôt admiratives. Par
contre, mes copains ont du mal à comprendre que je puisse y trouver du plaisir.
Ma situation les remet peut-être en question !
Pourtant, c’est le cas. Je suis heureux
dans ce que je fais. J’apprécie en particulier la relation forte avec nos trois
enfants.
Après tout ce temps, je peux dire que
jamais je n’ai été aussi fatigué ! Quand j’avais un travail rémunéré, c’était
moins crevant !
Pour mon bien-être relationnel, je me
suis engagé comme bénévole dans deux associations.
« Ce sont mes petits sucres » qui me permettent de garder l’équilibre.
Mais le danger reste de passer plus de temps dans le bénévolat que dans sa
propre maison.
Il est plus valorisant d’être reconnu
pour son savoir-faire que de trier les chaussettes ou de prendre la poussière.
Je dois me recentrer régulièrement.
Il y a peu, j’ai envisagé reprendre un
travail professionnel. J’ai envoyé mon CV. Incroyable, j’ai obtenu un entretien
très rapidement pour un poste de formateur. J’ai passé 3 entretiens et j’ai été
invité à rencontrer le Directeur Général pour un dernier échange.
Dans mes entretiens, je n’avais pas
caché ma situation.
La première question du DG : « Papa au foyer, c’est vrai ce mensonge
? »
J’ai expliqué avec enthousiasme que oui,
je suis bien papa au foyer.
Voilà ce que l’on m’a répondu :
« Il faudrait du courage pour le faire !
»
« Je suis aussi papa, et je
n’abandonnerais jamais mon travail »
« N’avez-vous pas peur de ne pas
retrouver de job ? »
« Vous êtes bien, sans emploi ? »
« Est-ce que vous avez fait un burn-out
? »
« Est-ce que vous arriverez à vous lever
le matin ? »
Ma candidature n’a pas été retenue. Mes
enfants sont très contents ! Ma place est certainement à la maison, près de mes
enfants. (…)
J’ai un travail non-rémunéré, j’avance
avec courage, je me lève tous les matins avec bonheur. Je suis heureux.
Je veux le meilleur pour notre famille.
Oui, mon rôle actuel est bien de prendre soin de ma Fabuleuse et de mes
fabuleux enfants.
Même si le regard extérieur est
persistant :
·
« Ce serait quand même bien que tu
travailles pour ta retraite »
·
« Un homme a besoin de travailler »
·
…
Désolé, chers amis, je poursuis mon
engagement à domicile. Je ne soulagerai pas vos préoccupations ! Je suis
heureux dans mon rôle de papa au foyer, désolé pour vous !
Très chères Fabuleuses, je commence à
comprendre vos préoccupations, vos joies et vos peines.
Je participe à la meilleure formation de
ma vie parce qu’elle m’ouvre les yeux.
Vous êtes fabuleuses, n’en doutez plus.
Redoublez de courage et profitez de ces instants tellement précieux.
Avec ma profonde considération,
Un papa au foyer
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